CHAPITRE 10 Passé, présent et futur Beatrix Fife “Bix” LE MAGNÉTOPHONE, en français 2019.09.21 Mon père travaillait beaucoup mais le week-end et pendant les vacances, il était présent, avec nous. Nous chantions ensemble des chansons italiennes et anglaises et il racontait des histoires d’empereurs romains, des histoires anciennes de Rome, ainsi que des histoires qu’il avait vécues quand il était petit là-bas. Un jour, par exemple, quand il jouait à grimper avec les autres garçons sur un ancien portail en fer un peu cassé, celui-ci était tombé sur son ami qui était décédé, à côté de lui. Tout en émotion et avec des talents de narrateur, Papa expliquait clairement les dangers et la fragilité de la vie. Il nous apprenait que la vie était dure et qu’elle pouvait être courte, et surtout, qu’il fallait en profiter. Le passé, le présent et le futur, la vie et la mort étaient sur une même ligne, pour lui. Il y avait aussi l’histoire de ma grand-mère, sa maman à lui, qui parlait seulement anglais à la maison, à Rome, parce qu’elle était anglaise. À cause de la guerre et du nationalisme de l’époque, il n’était pas possible de parler anglais à l’extérieur de la maison. Avant et pendant la guerre, il devait se retenir de parler anglais et être complètement italien à chaque fois qu’il sortait de la maison, dans laquelle mes grands-parents cachaient des soldats britanniques. Son père, mon grand-père, était norvégien-écossais, né aux États-Unis. C’est peut-être à cause de son enfance que Papa se sentait libre en parlant norvégien avec Maman, n’ayant peut-être pas de mauvais souvenirs dûs aux conflits entre l’Italie et l’Angleterre pendant la guerre. Le norvégien était la langue d’un de ses grand-pères qui avait émigré aux États-Unis, pour travailler l’orfèvrerie, et ce grand-père, mon arrière-grand-père, était flûtiste et musicien. Et puis, mon grand-père, était parti dès son plus jeune âge pour travailler en Italie, et y amener le téléphone, produit technologique révolutionnaire à l’époque, vendu par la compagnie américaine Bell : il amenait les premiers téléphones, là-bas. Né et ayant grandi toute son enfance à Rome, mon père y avait ses racines profondes. Maman et Papa ne parlaient pas d’immigration, nous étions toujours des expatriés. À cet âge, je n’y pensais pas du tout. Petit à petit j’apprenais à connaître la culture, les familles, les enfants dont les parents venaient de France et d’autres pays comme l’Espagne, le Portugal, l’Algérie… Pour nous, enfants, nous étions tous un peu pareils, des enfants. Expatriés ou immigrés, c’était la même chose. Pour moi, tous les enfants étaient des enfants, comme moi. Quand nous sommes arrivés en France, Papa travaillait dans les recherches spatiales : à la maison il y avait de grandes photos d’astronautes descendant des fusées et marchant sur le sol lunaire. Les satellites, les expériences dans l’espace, tout ce qui pouvait être imaginable ou possible de faire à l’avenir, c’était sa passion. Il aimait la France, qui lui permettait de la vivre à travers son travail. Il aimait aussi l’Italie, l’Angleterre et la Norvège, qu’il avait ‘en lui’ disait-il, en mettant sa main sur le coeur, et il aimait aussi découvrir les pays où il allait souvent, le Pakistan, la Chine et le Japon. Et puis avant tout, il aimait sa famille. Avec nous, il avait décidé avec Maman de partir souvent en vacances en caravane pour faire du camping. C’était le plus simple, avec quatre enfants, mais aussi le plus agréable, que d’amener sa propre maison un peu partout et d’être près de la nature. Il acheta une roulotte et nous partîmes très souvent sur les routes dans des régions d’Italie, de France, et jusqu’en Norvège. Nous apprîmes alors à visiter de nouveaux lieux, à rencontrer des personnes de pays différents, à installer la caravane dans chaque endroit, en pensant à l’emplacement de l’eau, de l’électricité, des arbres et des toilettes. Quand nous habitions à Rome, j’avais absolument voulu avoir une poupée qui avait un tourne-disque dans le ventre et qui chantait. Elle s’appelait Belinda. Maman en avait cherché une partout pour moi, jusqu’à un soir de Noël, à Rome, où elle en avait trouvé une. J’avais adoré Belinda, et j’avais beaucoup chanté avec elle. Maintenant, je chantais beaucoup dans la voiture, quand nous partions en vacances, avec la caravane attachée derrière. Nous avions déménagé en France, et l’âge de jouer avec Belinda, en Italie, était petit à petit passé. C’était pour moi l’âge du magnétophone, en France. Il était tous les jours avec moi. Je pouvais écouter de la musique, des chansons , des poésies, des musiques et des mots que j’avais enregistrés. Je le portais sur l’épaule, comme un sac. Dedans, il n’y avait pas d’objets, pas de porte-monnaie, pas de mouchoir, mais des sons et des émotions. C’est peut-être grâce à lui que je pouvais garder en mémoire les intonations et les émotions, les conjugaisons et les structures de mots des langues et de ma nouvelle langue, le français. Comme le son de la cassette qui se confond avec lui-même et soudain disparaît, comme le silence qui surprend alors que le bouton PLAY est enfoncé, le magnétophone n’est plus là physiquement. Il est en moi, pour toujours. Sur quoi le monde se repose-t-il, et de quoi rêvons-nous ?Ceci n’est pas le titre, mais des pensées qui sortent de l’image. Le tableau, lui, est sans titre.Acrylique sur toile par Bix 35 x 44 cm Thank you for reading “TAPE RECORDER”.