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CHAPITRE 8 LE MAGNETOPHONE

Beatrix Fife “Bix”

2019.07.16

Je gardais précieusement mon argent de poche dans une tirelire. Chaque semaine, je recevais une certaine petite somme. Je savais ce que je voulais acheter, c’était un grand investissement, et j’épargnais. J’en avais parlé avec Papa. Il me l’achèterait moins cher à l‘aéroport et me complèterait de la moitié. Je voulais un petit magnétophone.

 

Je désirais l’utiliser pour enregistrer mes devoirs pour l’école et ainsi, mieux apprendre.

Il y avait tant de leçons à apprendre par cœur, des formules, des dates et surtout, des récitations. Parmi elles, j’aimais les Fables de La Fontaine, mais aussi les autres poèmes. Enfin, j’eus assez d’argent. Je vidai la tirelire et donnai la grande somme à Papa, qui, comme entendu, m’acheta un petit magnétophone rectangulaire à Amsterdam. Il était gris, dans un étui noir en plastique, avec des trous.

 

J’enregistrais et écoutais ma voix dire des vers. Le soir, après m’être couchée, dans le noir, je récitais en même temps que le magnétophone. J’étais surprise d’entendre le son de ma voix, si différente de ce que je pensais. Était-elle comme les autres enfants, avait-elle les mêmes intonations, le même accent ?  Je m’écoutais, et je l’ajustais à ce que je pensais était une intonation comme les autres.

Mes notes à l’école devinrent meilleures. Mon français aussi fit de grands bonds en avant, j’entendais à travers le magnétophone mon propre accent italien s’estomper et j’essayais de parler le plus possible comme les autres petits Français. Le magnétophone ne me quittait plus. Je l’emmenais partout, en bandoulière.+

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Je commençai aussi à m’enregistrer quand je jouais de la flûte. Je pouvais ainsi entendre mes fautes et me souvenir de l’endroit où je devais faire attention. Après la flûte soprano, je me lançai dans la flûte alto puis la sopranino. Chaque flûte donnait une couleur de son différente dans l’enregistreur. J’essayai de m’éloigner du micro pour ne pas trop le faire grincer. Ma maîtresse à l’école, Madame Lavalérie, nous introduisait à des instruments différents.

Elle me désigna un jour comme chargée de faire l’accompagnement quand les autres chantaient des hymnes en chœur, je les accompagnais à la flûte à bec, et petit à petit aussi, selon les morceaux, au xylophone et au tambourin. J’étais aussi responsable de mettre les disques adéquats aux différentes parties de la messe du vendredi. Un jour j’amenai le magnétophone en classe pour enregistrer la chorale, mais le son était très mauvais, le chant devenait une grande bouillie et l’on entendait à peine la flûte. Quoi qu’il en soit, je n’amenai plus la petite machine à l’école. L’essentiel était que je l’utilise chez moi où je pouvais m’entendre clairement.

Je récitais des poèmes, disais plusieurs fois les noms compliqués dont je n’arrivais pas à me souvenir ou que je n’arrivais pas à prononcer, comme par exemple Vercingétorix,Vercingétorix, Vercingétorix.

Aujourd’hui, aujourd’hui, aujourd’hui. Religieuse, religieuse, religieuse. Je voulais être comme les autres.

Le magnétophone était le miroir sonore de mes paroles, qui m’aidait à vérifier où j’en étais.

 

Un petit instrument à vent comme j’en avais.

 

Souvent, entre les devoirs et les flûtes, je bavardais dans le microphone en italien.

Je disais qu’il pleuvait, que le ciel et la terre étaient gris, que je voyais des feuilles mortes tomber de l’arbre, devant ma fenêtre. Je m’écoutais ensuite, comme si j’écoutais la partie de moi-même qui était restée à Rome. Cela faisait plus d’un an que nous étions partis. C’était très long. J’avais écrit des lettres mais seul Massimo m’avait répondu d’une petite carte de Noël. J’espérais retourner là-bas bientôt et je m’écoutais le dire en italien dans le magnétophone.

 

Je commençai aussi à enregistrer la musique de la télévision. Je mettais alors le magnétophone par terre, devant l’écran. Quand le générique se faisait entendre, je disais à mes frères de se taire et mettais ma main sur la bouche de ma petite sœur, tout en appuyant sur les deux boutons, play et rec, en même temps.

Parfois mes frères faisaient exprès de crier quelque chose pendant l’enregistrement. Parfois aussi, maman entrait et nous pointions tous l’index vers l’enregistreur en mettant un doigt sur la bouche. C’étaient des musiques que je réécoutais après, dans ma chambre, ou bien dans ma maison de poupées dans le jardin qui, d’ailleurs, se changeait régulièrement en salle de ping pong ou de gym. Je faisais la chandelle, des mouvements de danse et des galipettes au son de la musique enregistrée dans mon magnétophone.

Ma flûte (pas la même qu’à l’époque)

J’avais des disques. Je les écoutais, ainsi que ceux de mes parents, sur le lecteur du salon. Je mettais alors la musique très fort et tout le monde pouvait l’entendre, alors que mon grand frère écoutait la musique seul dans sa chambre. Je le retrouvais avec plaisir avec les deux autres devant la télévision, lorsque nous avions le droit de la regarder. Et puis, nous riions tous en même temps, lorsque papa venait jeter un coup d’œil à l’écran et que par hasard c’était juste au moment où les acteurs s’embrassaient sur la bouche.

 

La musique et ma voix que j’enregistrais, liaient tout le monde autour de moi et cette petite machine à mon coeur. Le magnétophone était magique, comme une boîte à trésors. Je ne m’en séparai plus.

 

 

Beatrix Fife “Bix”
Beatrix Fife “Bix” プロフィール

Bix est née à Stockholm de parents norvégiens et italo-britanniques. Elle grandit à Rome jusqu’à l’âge de 7 ans, parlant 3 langues dès sa petite enfance, puis réside avec sa famille à Paris jusqu’à la fin du secondaire. Elle y étudie la flûte traversière.

Tout en faisant ensuite des études universitaires à Oslo, elle commence à étudier la peinture et à écrire des pièces de théâtre, activité par laquelle elle fera un stage de 6 mois au New Dramatists’ de New York en 1988.

Elle part étudier la peinture et le dessin à Oslo, puis à l’Académie des Beaux-Arts de Budapest. C’est après avoir reçu un prix dans une exposition de peinture en Autriche, qu’elle a l’occasion de partir au Japon en 1990. À Kyoto, elle étudie les arts traditionnels japonais, dont la calligraphie japonaise, dans l’atelier de Shingai Tanaka. En continuant sa peinture, elle développe la performance-art avec le philosophe Michael Lazarin et le musicien Mamoru Katagiri (Marki) et joue pour des troupes de danseurs de la région du Kansai. En 1999, elle part à Bruxelles et continue à exposer et à donner des concerts. Elle apprend la musique jazz à l’Académie de Musique de Bruxelles, crée le groupe electrop Bix Medard et fonde l’école Brussels Language Activities. Elle fait des études de Sciences du Langage et obtient un Master2 recherche à l’université de Franche-Comté en 2008, Besançon.

Bix réside depuis 2010 à Tokyo et se produit au Japon avec le duo de musique de composition Bix&Marki dans lequel elle chante, joue la flûte et les percussions, et écrit les paroles de toutes les chansons. Peintre, musicienne, chanteuse et linguiste, elle travaille la peinture et la musique, et est chargée de cours de français dans des universités, spécialisée en langues, art et dramatisation.